Episode 2 –  Rencontre aujourd’hui avec Hervé Pourchez, créateur de la brasserie de l’Ilet à la Plaine-des-Palmistes.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération. 

C’est au Domaine des Tourelles de la Plaine-des-Palmistes que nous rencontrons Hervé Pourchez, un ex-informaticien reconverti dans sa passion : la bière. Installé là depuis 2016, il reçoit chaque jour les visiteurs et touristes de passage, et se ravit de leur présenter son atelier, de leur expliquer son métier, et même de leur vendre quelques bières. « Quand je brasse, les gens peuvent rentrer, je discute avec eux, et parfois je peux perdre un peu le fil ! », sourit-il. Mais auparavant, c’est sur la route de Salazie, au lieu-dit de l’Ilet, qu’il se trouvait, dans un petit local pas plus grand que 20m2. De ce premier atelier qu’Hervé a ouvert en 2013 est resté le nom de la brasserie, mais aussi l’esprit artisanal. « Pendant le brassage, je chauffe au gaz. Et j’ai mon fourquet (pelle percée utilisée pour le brassage de la bière, ndlr). C’est tout le plaisir que j’ai de travailler de façon artisanale avec un grand A, c’est ce côté-là que j’aime encore. Le jour où ça deviendra quelque chose d’automatique je me poserai des questions ».

« On a commencé à brasser un peu, pour le plaisir de notre entourage » 

Hervé Pourchez n’a pas toujours été la tête au-dessus des brassins. Il découvre le brassage amateur en 2008 avec son fils, sur un site internet qui vendait des kits de brassage à la maison. « Ça m’a mis la puce à l’oreille, j’ai commencé à faire des recherches sur le net. J’y ai passé des heures et des heures à éplucher les expériences des autres, bonnes ou mauvaises, pour me faire une idée ». À l’époque, il y croise même d’autres Réunionnais qui aujourd’hui ont également leur propre brasserie artisanale.

« Le but, c’était de faire quelque chose qui ressemble à de la bière, sans prétention aucune. On faisait un brassin par mois avec mon fils. Peut-être avec la chance du débutant, la première bière était plutôt sympa, alors on a commencé à brasser un peu, pour le plaisir de notre entourage. Puis encore un peu plus, jusqu’à ce que l’idée de la brasserie germe sérieusement, pour se lancer début 2013. L’histoire est partie comme ça ! », se remémore Hervé Pourchez, qui s’est donc formé seul au moyen d’internet. « Au début on est un peu en mode panique, mais on finit par trouver l’équilibre. Même si moi j’aimerais bien me former un peu plus, mais je lis beaucoup de bouquins et je discute via les forums, c’est comme ça aussi qu’on évolue ».

De 300 à 1 200 litres par mois 

Côté production, loin de lui l’idée de rivaliser avec les volumes des grosses brasseries industrielles. Même si avant la crise du Covid, Hervé avait investi dans de nouvelles cuves, plus grandes, pour passer d’un volume avoisinant les 300 litres par mois à 1 200, voire 1 500 litres. Ce qu’il fera dans les prochains jours, les établissements ayant désormais rouvert. « La demande est là. Mais avec la bière artisanale, il y a un délai malgré tout, ce n’est pas de l’industriel », souligne-t-il. Après l’étape plus ludique du brassage viennent celles de l’embouteillage et de l’étiquetage, effectuées manuellement. « C’est très chronophage ». S’ajoute surtout le délai de la fermentation : après leur mise en bouteille, environ deux semaines sont encore nécessaires afin que les bulles de la bière se forment. Voire plus. « Les bières vont prendre de la maturation au fil des trois mois qui vont suivre la mise en bouteille. Ce n’est pas forcément le goût qui va changer, mais plutôt la mousse qui va devenir plus dense, plus crémeuse, les bulles plus présentes… ». Au contraire des bières industrielles qui elles, sont filtrées et pasteurisées, pour que leur goût et leur odeur soient figés. « Les levures, c’est du vivant. Par exemple, à la Plaine-des-Palmistes en hiver, les levures vont travailler un peu moins vite. Si on embouteille trop tôt, on peut avoir de drôles de surprises quand on décapsule la bouteille. Alors ça rallonge un peu les délais de fermentation, mais ça fait partie du jeu. On travaille avec du vivant, donc on accepte ! ». Le processus, du brassage au moment où une bière est prête à être mise au frigo pour être dégustée, demande en moyenne un mois.

La dizaine de restaurants et bars avec qui il travaille absorbe à ce jour le plus gros de sa production, les bouteilles vendues à l’atelier n’étant qu’à la marge. La brasserie de l’Ilet travaille aussi depuis peu avec les magasins Carrefour qui possèdent une cave à bière. « L’idée, c’est que les gens puissent me voir et me trouver, que ça me fasse une vitrine », explique Hervé, qui a fixé son prix de vente moyen autour des 3 euros la bouteille de 33 cl. « Ça reste tout à fait cohérent quand on sait que l’orge, on le paie deux fois plus cher que si on était en métropole. Pour le houblon par exemple, on le fait venir par avion en Colissimo, ça coûte vite les yeux de la tête ». Il n’est donc pas rare que plusieurs petits brasseurs de l’île se réunissent alors pour des commandes groupées afin de faire baisser les coûts. « Comme ce sont des ingrédients pas donnés, il faut trouver un juste équilibre pour avoir quelque chose d’intéressant sans avoir un prix exorbitant. Une chose est sûre, on ne devient pas le roi du pétrole en faisant de la bière artisanale ! », rigole Hervé.

« Faire découvrir la bière artisanale au plus grand nombre » 

Et au goût, qu’est-ce que ça donne ? Chez Hervé Pourchez, pas de chichi : « Je travaille un peu au feeling, je ne calcule pas forcément tout. Je prends le parti de rester sur des recettes relativement simples, même si on peut aller très loin pour s’amuser, en rajoutant des ingrédients, à différents paliers. Mais moi, mon envie première, c’est vraiment de faire découvrir la bière artisanale au plus grand nombre ». Alors il s’est adapté, notamment en baissant un petit peu le niveau d’amertume pour satisfaire les palais d' »un public novice qui ne connaît pas forcément les bières artisanales » et qui pourrait se trouver un peu réticent aux breuvages trop amers. « Je ne fais pas non plus de bière brune, parce que ce n’est pas un style évident à aborder, même si moi j’adore ! Mais si je ne devais fabriquer que des bières que j’adore, je diviserais par deux mes consommateurs potentiels », nous explique le passionné. Avant de rajouter tout de go, en rigolant : « Mais il faut quand même qu’il y ait de l’amertume, sinon c’est un panaché et on n’en parle plus ! ».

La gamme de la brasserie de l’Ilet, les bières « Tropic’Ale », se décline en quatre bières : la Libertine, la Kafrine do fé, l’ambrée épicée, et la classique blonde. Et se lance parfois dans une bière de saison, comme en ce moment celle au goyavier. Lorsque certains prennent le pari de multiplier les recettes pour que chaque brassin soit plus ou moins unique, Hervé Pourchez lui, garde une constante, « parce que les gens, quand ils l’achètent, c’est celle qu’ils veulent, même si les levures, ça change tout le temps, c’est du vivant ». Voilà qui ne l’empêche pas de se risquer à des essais hors des sentiers battus de temps en temps, par passion. « J’ai brassé un jour une blonde avec du houblon sauvage et de la patate douce, un truc un peu au feeling. On ne sentait pas spécialement la patate, mais la bière était un peu plus légère en alcool ».

« Un échange de consommateurs, ça crée un dynamisme »

En activité depuis 2013, Hervé Pourchez fait désormais partie de la « vieille » génération des brasseurs artisanaux péi, avant la vague de ces trois ou quatre dernières années. Une vague qu’il ne considère pas vraiment comme une concurrence, au contraire. « On est complémentaires, chacun a ses propres recettes, et un style de bière différent. Les Dalons vont faire une blonde qui n’est pas comme la mienne, moi je fais une ambrée qui ne sera pas comme celle de Picaro, et ainsi de suite. Après, c’est en fonction des goûts : un client va plutôt kiffer la blonde de chez untel, la blanche de chez un autre… J’ai des clients qui viennent m’acheter de la bière mais qui en achètent aussi à d’autres brasseries artisanales. Il y a un échange de consommateurs, ça crée un dynamisme ».

Mais il sait aussi relativiser. « Cette vague était arrivée il y a déjà quelques années en métropole, il y a eu un vrai boom, et une croissance exponentielle des brasseries artisanales. Mais attention, certaines ferment aussi. C’est comme tout, quand quelque chose marche bien, on a tendance à en voir fleurir partout. Après, il faut voir si le produit plaît ou non ». En tout cas, le passionné qui a « mis le doigt dans la bière puis c’est le bras qui a été pris », considère l’arrivée d’autant de microbrasseries dans le paysage comme une réelle avancée pour faire découvrir aux gens autre chose que la bière industrielle. « Ça permet d’avoir une offre relativement bien étoffée pour des gens qui souhaitent de plus en plus découvrir la bière, et ça fait tout un système de brassage, sans jeu de mot ! ».

Johanne Chung To Sang 



La gamme 

La blonde : une blonde « assez florale, avec des houblons un peu différents d’un brassin à l’autre », mais sans jamais en changer fondamentalement le goût.

La Libertine : Un blonde au miel et au gingembre, mais avec très peu de gingembre, donc pas du tout une « ginger beer ». Le miel aromatise légèrement et donne un côté un peu rond, sans qu’on retrouve le côté sucré parce que les sucres ont été mangés par les levures pendant la fermentation.

La Kafrine do fé : une bière ambrée traditionnelle, à mi-chemin entre la blonde et la brune.

L’ambrée épicée : la même base que la Kafrine do fé, avec un mélange d’épices très light similaire au mélange pour pain d’épices, qui lui donne une touche aromatique agréable, mais sans qu’on puisse identifier les épices présentes.

La bière de saison : blonde au goyavier



Fiche d’identité  

Date de création : 2013

Lieu : la Plaine-des-Palmistes

Volume brassé par mois : environ 300 litres, bientôt 1 200 litres

Où les trouver : une dizaine de restaurants et bars, certains cavistes, et les magasins Carrefour incluant une cave à bière

 

 

Share This